mercredi 5 novembre 2014

Félix de Saint-Hilaire, 10 ans, bluesman.


En août dernier au Canada, une vidéo fit un buzz énorme. On y voyait un enfant de 10 ans, Félix de Saint-Hilaire, non-voyant, chanter un blues en s'accompagnant à la guitare, dans la pure tradition de certains bluesmans des années 30. De quoi bluffer professionnels et connaisseurs avertis du genre (1).

(1) D'autant que la façon de jouer adoptée par Félix semblait a priori peu pratique : guitare à plat sur les genoux (lap steel guitar), une position théoriquement réservée au jeu avec bootleneck.

Postée le 2 août sur Facebook par son moniteur de vacances Steve Joseph, la vidéo atteint 20 000 partages en deux jours.

Le 5 août, alors qu'on en est à 55 000 partages Facebook, la vidéo est mise en ligne sur Youtube par la Fondation des Aveugles du Québec qui avait organisé le camp de vacances :


Le même jour l'agence québecquoise QMI consacre une dépêche à Félix. Aveugle de naissance, il s'est vu offrir une guitare à l'âge de 6 ans. Il a appris en autodidacte, à l'écoute de vieux enregistrements de blues, ayant eu le choc de cette musique.

Le 9 août, Félix est invité à jouer sur la scène du FestiBlues 2014 International de Montréal :


12 août : la chaîne canadienne CTV News Channel consacre un sujet à Félix et au buzz de sa vidéo au camp de vacances (on en est à 90 000 partages Facebook).

13 août : huffingtonpost.ca et dailymail.co.uk rendent compte du phénomène (120 000 partages Facebook).

Le 28 août, Félix est programmé sur ICI Radio-Canada Télé, dans l'émission de Penelope McQuade, pour une prestation mémorable, accompagné par les musiciens-maison de l'émission qui avaient flashé sur sa vidéo.

Felix 01



Sans titre 02

Felix de Saint-Hilaire avait déjà attiré l'attention d'une chaîne de télévision québecquoise quelques mois plus tôt. C'est un buzz sur internet qui l'aura finalement propulsé : il put alors, pour la première fois peut-être, se produire dans des conditions professionnelles. Sa version de Every Day I Have the Blues du 28 août restera dans les mémoires. Deux versions de ce standart du blues s'imposent à mon sens désormais avec le même genre de limpidité : la sienne du 28 août, et celle gravée en 1963 lors de sa dernière cession d'enregistrement par Elmore James (disciple de Robert Johnson, une des influences de Félix).

On attend des nouvelles de Félix (vidéos ou autres) en espérant qu'il se retrouve le plus souvent possible au contact d'autres bons musiciens!

BONUS : il existe un 2ème blues enregistré par Félix en pijama au camp de vacances.

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Autres vidéos de Félix :
Steve Joseph apprend à Félix le succès de sa vidéo via Facebook (4 août 2014)
Félix joue du bootleneck (août 2013)
Blues (janvier 2012)
Blues (septembre 2011)
1ère vidéo visible en ligne de Félix, 7 ans, sur sa première guitare (août 2011)

dimanche 16 mars 2014

Jean-Marc Leone, artiste peintre : « l'art est un véhicule du vivant »


Jean-Marc Leone


Allant visiter il y a quelque temps une petite exposition de peinture nichée à Herblay (95), d’un peintre apparemment inconnu, je ne m’attendais pas à grand-chose comme souvent dans ces cas-là. Or dès les premiers coups d’œil sur les œuvres exposées, je fus frappé par quelque chose qui émanait des tableaux, et aussi par une unité d’ensemble, bref par un « niveau artistique » que je détectai aussitôt comme haut placé. Jamais à vrai dire je n’avais eu telle impression en découvrant, dans une exposition de hasard, les œuvres d’un artiste. Le peintre, Jean-Marc Leone, était présent : je lui posai quelques questions. Étonné par le fossé entre la qualité des oeuvres et l’apparente absence de réputation du peintre, j’eus l’idée de mettre en ligne une petite interview, qui s’est faite par échange de mails, question après question (1).

(1) La même impulsion m’avait fait mettre en ligne un billet sur mon restaurant fétiche à Paris, scandaleusement méconnu par rapport à d’autres de qualité inférieure mais très attentifs à leur marketing.



1. Il se dégage de vos peintures quelque chose comme une sérénité, un calme, une grande harmonie : est-ce un but recherché ?

Jean-Marc Leone : Oui je cherche avant tout l’unité dans un tableau, qu’il se dégage de lui un sentiment de plénitude, dans le sens qu’il se suffit à lui-même, que cela soit par la forme, par ses couleurs, ou sa structure. Il est important pour moi qu’un tableau me fasse avant tout du bien, qu’il soit source de voyage et de rêve. Je suis heureux que vous ayez senti cela à travers cette exposition, car c’est en soi le but recherché, même si chaque tableau est autonome par son motif, ou son sujet, j’aime construire une exposition comme formant un tout, permettant au spectateur de ressentir le tout comme une seule entité.


2. Attendez-vous d’être dans un certain état intérieur pour vous mettre à peindre ?

Jean-Marc Leone : Non ! Je ne cherche aucun état particulier, bien au contraire juste l’état du plaisir, et de la simplicité, pour se dégager de toute attente volontariste, afin de se laisser conduire par le sentiment du moment. Il est d’ailleurs très jouissif de voir quelquefois un tableau se faire de lui-même, ce sont des moments très précieux, et cela relativise grandement notre action personnelle. L’art nous donne de temps en temps l’accès à un sentiment plus vaste. Il n’est pas rare d’ailleurs de rencontrer ce genre de ressenti dans d’autres formes artistiques. En musique on peut aussi rencontrer ce sentiment similaire, on se sent tout simplement porté par la phrase musicale, il faut juste - et ce n’est pas si simple - se laisser faire… Ce qui n’exclut pas, bien au contraire, d’avoir au préalable construit une idée bien précise, de ce que l’on veut peindre ou jouer.

Pour répondre complètement à votre question, il m’arrive de ressentir le besoin de peindre, sans parler vraiment d’urgence mais une vive envie de faire, de créer, que cela se fasse, alors je laisse tomber toute autre activité, et je me mets à travailler, jusqu’à que ce désir soit satisfait. Le tableau est fait, et me laisse tranquille. C’est aussi très agréable de ressentir cet état presque d’urgence, on se sent appelé par le tableau, il veut sortir, alors je lui donne tout le temps nécessaire pour ce drôle d’accouchement, parfois lent et douloureux, d’autres fois rapide et joyeux. Rien n’est jamais identique, ce qui fait la richesse de ce travail. S’installe alors un dialogue à deux le tableau et moi, et c’est lui qui mène la danse.


3. Vous vous laissez apparemment guider par un «  instinct » ou une sensibilité déjà expérimentés ou affinés dans votre travail de musicien, vous dites aussi que le tableau parfois « se fait de lui-même ». Pourtant il se dégage indubitablement quelques chose de vos tableaux, et que l’on peut retrouver d’un tableau à l’autre (« sérénité et harmonie » pour résumer), comme si chaque tableau était « imprégné » de quelque chose que le spectateur pourrait ensuite « capter ». Êtes-vous conscient d’un tel phénomène ? Ces « harmonie et sérénité » viennent-elles de vous, ou peut-être n’êtes-vous qu’un « transmetteur » de « quelque chose » que vous auriez, peut-être à votre insu (car vous dites ne pas rechercher d’état intérieur spécifique pour peindre), capté ou canalisé ?

Jean-Marc Leone : Il est difficile de dire que cela vient de notre état intérieur, pour ma part je ne suis ni serein ni harmonieux, par contre dire que je le recherche, et que j’essaye par mon quotidien d’être humain, d’y tendre, oui cela j’y souscris, et ce désir profond peut effectivement se faire ressentir dans ces peintures. Il est évident que l’on ne peut pas peindre ce qui ne vient pas de soi, mais on peut peindre un désir, une envie, sans forcément encore l’incarner en tant qu’homme. Je crois que la peinture a sa propre musique, il m’est impossible d’écouter ou de jouer une musique qui ne soit pas reliée à l’harmonie, à une structure qui permet à l’auditeur ou au spectateur de ressentir en lui une détente profonde. J’aime croire que la peinture ou la musique nous aide à nous ouvrir à plus vaste, sans parler de transcendance, mais juste à ouvrir ce qui ne nous était pas accessible auparavant, à nous rendre tout simplement plus sensible à notre humanité. Un art humain, l’homme a un cœur immense, mais malheureusement souvent bien fermé. Je ne peins que ce que je veux voir, j’aime à croire que la peinture nous ramène à notre profondeur intrinsèque ; qu’elle nous procure pour un bref instant une intemporalité. Toute personne est unique, il a son propre ADN, et pourtant, il est évident qu’un phénomène est à l’œuvre, l’homme tend à l’harmonie, c’est une nécessité. Il ne s’y prend pas toujours de la meilleure manière qui soit, mais dans sa profondeur, il y est appelé. Une forme artistique dirigée dans ce sens fait résonner en chacun de nous ce besoin d’être en paix.


4. À votre exposition vous m’aviez expliqué être musicien (violoncelliste), et vous être mis à la peinture relativement récemment (ce qui m’a étonné vu l’impression d’aboutissement et de maîtrise, et aussi de grande cohérence, qui se dégage de vos œuvres). Mais à l’école maternelle au moins vous aviez déjà pratiqué la peinture : avez-vous parfois dessiné ou peint entre temps ? Comment s’est fait, qu’est-ce qui a déterminé le passage à une activité régulière de peintre ?

Jean-Marc Leone : Depuis tout petit, il y a eu un appétit pour diverses formes artistiques, peinture, théâtre, musique. La vie a fait que la musique devienne mon activité professionnelle, mais la peinture et le théâtre n’ont jamais été très éloignés de moi, et quand le moment fut venu, je me suis mis à la peinture.

On peut dire que cela a été une longue gestation, des rencontres aussi, avec des peintres du passé, des lectures. J'ai toujours été passionné par la vie des artistes, leur parcours, leurs questionnements, leurs croyances, ce que la vie leur avait fait découvrir, quel sens ils avaient donné à leur travail. Je me suis nourri de tout cela, à voir leur travail, et à les lire.

Je pense que quand un travail est sincère, et pas seulement le fruit d’une névrose, il est porteur pour celui qui le regarde. Je crois beaucoup à cela, à l’énergie d’un tableau, c’est une manière très subtile de sentir et de se sentir connecté à d’autres mondes. Pour moi, l’art est un véhicule du vivant, et j’aime me projeter dans des mondes qui ne sont pas miens mais qui peuvent avoir des rapprochements certains. Le plus touchant est de sentir dans les grands créateurs la foi qui les habite, ce besoin vital de créer, plus rien ne compte pour eux que cela. Et c’est une nourriture pour moi dont je ne me lasse pas.

Je crois beaucoup au processus de maturation, et je crois que mon désir de peindre est le fruit de ce processus. Il m'a fallu tout ce temps pour commencer à peindre. J’avais déjà commencé il y a une quinzaine d’années, ce fut une première initiation heureuse, sentir le pinceau sur la toile, son bruit, l’odeur des peintures, le touché des couleurs. Pour moi l’acte de peindre est, et doit être sensuel, comme l’est d'ailleurs mon rapport à la musique. Je vois en l’art la possibilité donnée à l’homme de s’ouvrir à ses sens.        .

Donc après une première période, j'ai laissé reposer pendant une dizaine d’années la peinture, jusqu’à que cela devienne pour moi une envie d’exprimer tout comme cela l’est en musique, et non un désir de me croire ou de me sentir peintre.

 
5. Comment s’est « construite » votre manière de peindre, y compris techniquement ? Comment se fait-il que vous peigniez de telle façon, avec tels matériaux ou couleurs, et pas tels autres ? Avez-vous tâtonné avant d’arriver à ce qui vu de l’extérieur semble être un « style abouti » ? Votre apparente maîtrise de vos moyens, techniques et expressifs, s’est-elle construite progressivement à partir du moment où vous vous êtes remis à la peinture il y a quelques années ?

Jean-Marc Léone :  J’ai toujours aimé le rapport physique avec la peinture, avec la matière. Pour moi c’est un besoin de ressentir le pastel ou la peinture sous mes doigts. J’aime établir avec eux un lien direct avec le papier ou la toile.

J'ai commencé par travailler le noir, le gris, le blanc, pour y chercher avant tout une profondeur, un espace qui permette au spectateur de se laisser plonger dans un inconnu. Le noir quand il est travaillé avec d’autres couleurs permet des possibilités infinies, que cela soit par le figuratif, l’abstrait, ou les deux conjugués. Je sens avant tout une grande liberté quand je peins, je me laisse aller à chercher, à essayer toute sorte de choses avec la peinture ou le pastel. Ce n’est pas un tâtonnement, mais plutôt un immense champ de découvertes. J’essaye toujours d’être surpris par tel ou telle recherche, et qu’elle soit toujours motivée par une envie de beauté, ou d’unité. En dehors de mes doigts, j’utilise bien sûr d'autres matériaux, pinceau, couteau, éponges, grattoir, coton, sel, sucre, eau, lait, huile. J’aime que cela soit ludique, d’ailleurs comme au théâtre j’aime jouer comme un enfant, eh bien dans la peinture, j’aime jouer à mélanger, à combiner différents éléments entre eux, ensuite je me laisse conduire.

Après une première exposition autour du noir, et de ses déclinaisons «  au gré des ondes », je me suis lancé avec passion dans la couleur, toujours en travaillant avec la même technique, j’ai ajouté aux pastels, de la peinture à l’huile, ce qui a donné au tableau une profondeur que j’avais dans les toiles plus sombres, mais que je n’arrivais pas à retrouver dans ce nouveau travail autour de la couleur. Après avoir obtenu ce que je cherchais avec ce nouveau  procédé, j'ai senti la nécessité d’y ajouter du relief, en travaillant le pastel comme de la glaise, pour donner au sujet, un contour et un relief plus vivant.

Oui, tout se construit progressivement. Mais sans une pensée, sans un travail sur ce que l’on veut voir, il ne pourrait pas y avoir grand-chose. Je crois que tout se prépare en amont, après des périodes intenses de travail, de création. Je laisse le tout se reposer, pour continuer à me nourrir. Des périodes qui peuvent durer plusieurs semaines ou mois, pour continuer à peindre par besoin, et non pas par nécessité, afin que le désir reste vif, et neuf. Sans ces périodes de gestation, où finalement tout se fait, il ne pourrait y avoir d’évolution. Elles sont nécessaires pour nous permettre d’aller encore plus loin dans la recherche de l’expressivité.